jeudi 22 janvier 2015

Des larmes, au sourire: Le témoignage d'Aurélie au Nigéria



Aurélie, c'est tout d'abord une rencontre bloguesque pas tout à fait comme les autres... Il y a quelques mois, pendant que je me préparais à quitter Lagos, elle se préparait à y vivre. Elle faisait donc partie de ces lectrices du blog, venues chercher des informations au sujet de la mégalopole nigériane, pour l'aider à prendre LA décision. 

Par ailleurs, Christie, l'ancienne nounou de ma fille, est désormais la nounou des enfants d'Aurélie, puisque j'ai eu l'occasion de rencontrer son mari quelque temps avant notre départ!

Aujourd'hui toute la petite famille est bien installée à Lagos, et c'est avec beaucoup de gentillesse et de générosité qu'Aurélie a accepter de répondre à mon interview, afin de livrer  à son tour, son expérience lagossienne:  Les difficultés à l'annonce de la destination, les premiers pas dans sa nouvelle vie,  et bien sur sa vision de la ville à la réputation sulfureuse. 

" Lagos était tout sauf l’endroit où nous devions partir : plus de visites familiales possibles, un contexte d'insécurité des plus élevés, une éthique bafouée (l’image pour certains d'aller vivre dans une prison dorée)"




Comment es-tu tombée sur mon blog, et quel article a attiré ton attention ?

Dès que nous avons appris notre départ pour Lagos, je suis allée sur internet pour avoir le maximum d’informations sur cette destination.
Peu d’éléments, de sites, d’informations…sont en fait à la disposition des futurs arrivants.
Je me suis donc dirigée vers les blogs d’expatriés…et là une fois de plus très peu sont sur le Nigéria où alors ils datent.
Seul ton blog a marqué mon esprit, une véritable mine d’or…Agréable à lire, visuel féminin et dynamique, en une soirée, j’ai dévoré tous tes articles, et plusieurs fois par semaine je tentais de me connecter pour en lire de nouveaux.
Le tout premier article, et surtout celui qui m’a énormément marqué, a été celui de ta première Nanny, qui est tombée malade. Des choix compliqués à faire, une confiance que l’on donne souvent rapidement car l’on confie ses enfants, sa maison…mais ici en particulier, je crois que nous devons toujours rester malheureusement sur nos gardes. En tout cas, ton histoire me le rappelle à chaque fois J

Quelle a été ta réaction, ainsi que celle de ta famille lorsque vous avez annoncé votre choix d’aller vivre au Nigéria ?
Lorsque mon mari m’ a appelée (il était à Londres pour un entretien avec sa RH), pour m’annoncer que finalement, le nouveau départ ne serait ni Génève, ni Londres mais le Nigéria, je me suis mise à pleurer…
Avec tout ce qui se disait sur ce pays en terme d’insécurité, je n’avais aucune envie de quitter mon île chypriote !
Il faut dire que nous avons connu Chypre comme première expatriation, et Chypre c’est un peu le « Club Med de l’expat J »
Une amie est immédiatement venue me retrouver chez moi et nous avons parlé toute la soirée sur ce départ. Pour elle comme pour moi, il était hors de question d’accepter

Et puis mon mari est rentré à Chypre le vendredi soir…Nous devions donner une réponse le lundi matin.
Pour lui, professionnellement parlant, cette nouvelle mission était plus qu’intéressante en terme d’intérêt métier, responsabilités…je ne voulais pas et pouvais pas être catégorique, alors que ce poste représentait beaucoup d’espoirs pour lui.

C’est durant ce week end là, que j’ai commencé à faire mes recherches sur le net et que j’ai découvert ton blog…et mille merci car finalement il nous a bien aidé à prendre du recul et rassuré sur la possibilité de vie de famille à Lagos. Ton article sur la sécurité a permis aussi de répondre à quelques unes de nos interrogations.

Le lundi, nous avons demandé à faire un voyage de repérage avant de donner notre réponse définitive.
A Lagos, j’étais en contact avec une expat rencontrée via le net, adresse de Lagos Accueil. Ce voyage m’a rassurée, m’a permis de dire que oui une vie à Lagos avec des enfants était possible. Même si je perdais de loin mon confort, ma nature et ma sérénité Chypriote, la mission professionnelle de mon mari en valait la peine !

Nous sommes revenus en France pour les vacances de Noël, et c’est à ce moment là que nous avons appris la nouvelle à nos proches.
Tristesse ou inquiétude sur leurs visages…Lagos était tout sauf l’endroit où nous devions partir : plus de visites familiales possibles, un contexte insécuritaire des plus élevés, une éthique bafouée (l’image pour certains d'aller vivre dans une prison dorée)…
Les repas de famille ont été très houleux, et sensibles. Le sujet du Nigéria était toujours à l’honneur des discussions et je me mettais à chaque fois à pleurer (pour moi aussi ce départ était difficile).
Je crois que j’attendais plutôt un soutien de mes proches  plutôt que des recommandations fermes et quelques jugements négatifs.


Comment t’es-tu préparée à cette nouvelle expatriation ?

J’ai eu 6 mois pour m’y préparer car j’ai préféré finir l’année scolaire à Chypre. Mon mari quant à lui à commencer sa mission dès le mois de février.
Le premier grand saut est je dirais, de tout rempaqueter, de laisser à nouveau ce cocon que tu t’étais reconstruit et que tu affectionnais.
J’ai quitté définitivement Chypre fin juin avec mes enfants, pour passer deux mois de vacances en France. Là bas, nous avons fait tous un check up médical complet (généraliste, dentiste, vaccins multiples mis à jour et obligatoires pour la destination.)
Avant le départ imminent, nous avons fait le plein de médicaments de premiers secours, aliments plus compliqués (ou plus chers) à trouver sur place.

Je me souviendrais toujours de notre première arrivée à LAGOS, nous avions 8 bagages en soute et 3 bagages à main ! Un débarquement !
Aujourd’hui encore, à chaque retour en France, nous faisons le plein de nourriture et autres.

Depuis quand es-tu à Lagos, et comment s’est passée ton installation ? (Logement, rencontre, découverte de la ville)

Je vis à Lagos depuis maintenant 5 mois, début septembre 2014, mon mari depuis février.
Nous devions arriver mi août, mais le contexte avec Ebola a quelque peu décalé notre arrivée. La rentrée des classes ayant été décalée de 3 semaines.
Nous avons vécu 1 mois complet à l’hôtel, en attendant les multiples signatures entre notre propriétaire et l’entreprise de mon mari.

Finalement, nous sommes très bien installés et l’adaptation s’est faite très rapidement. Notre différence et notre chance, (enfin je trouve), c’est que nous sommes arrivés avec toute notre « vie », notre « maison ». Nous avons pu reconstituer rapidement notre nid. 

Le premier réseau social, pour une famille avec enfants, est inconditionnellement l’école Française. Mes deux enfants y sont inscrits et dès le premier jour, des liens se tissent naturellement avec d’autres parents.
Le second réseau a été Lagos Accueil, où je prends ce que j’ai envie de prendre et qui m’apporte. Cette association m’a permis d’avoir trouvé un job d’enseignante de Français dans une école Nigériane. Je donne des cours tous les mercredis, et vais également à l’orphelinat certains vendredi matin.
Enfin, le dernier réseau est le bureau de mon conjoint. Seulement, là, le nombre d’expatriés est extrêmement réduit.


Si tu pouvais décrire Lagos en quelques mots ce serait…

Lagos c’est une ville gigantesque, où il fait moite et chaud. Du matin à tard dans la nuit, il y’a toujours du monde dans les rues.  Tu dois être vigilant, ne jamais baisser la garde même si tu as tendance à oublier parfois l’insécurité.
Le trafic de voitures est incessant, les générateurs bruyants et rares sont les moments de calme.
Mais à côté de cela, les rencontres entre expatriés sont riches et nombreuses. L’entraide est souvent de mise. Et si tu as la possibilité de t’évader le week-end  à la plage pour t’évader, faire le plein d’énergie, tu y vis bien.

Quelles sont tes activités à Lagos, comment occupes-tu tes journées ?

Comme évoqué ci dessus, une journée par semaine je donne des cours de français à St Peter School à Lekki , Ecole catholique Nigériane. Je ne suis pas du tout professeur de formation, j’ai un diplôme d’école de commerce et était directrice régionale pour une enseigne de PAP auparavant en France. Cela me demande donc un peu plus de travail que certains dans la préparation de mes cours, mais j’apprends et j’aime beaucoup cela.

A côté de cela, je donne des cours de français à une petite nigériane. Elle est scolarisée à l’école Française mais ne parle qu’anglais.
Je donne deux heures de cours de natation à deux petites filles nigérianes, connues lorsque nous étions à l’hôtel pendant un mois.
Enfin, certains vendredis, je me rends à l’orphelinat de Ketu ( en dehors de VI et Ikoyi) via une équipe de Lagos accueil pour partager avec des enfants.

Entre mon sport (natation, course à pieds salle/marche à Banana Island, tennis) quasi tous les matins, l’intendance de ma maison, mes enfants (ils n’ont école que le matin) et les occupations ci dessus, je ne m’ennuie jamais.


 Qu’est ce qui est le plus dur dans cette expatriation ?

Je dirais le fait de rester en vase clos.
Nos libertés pour sortir de VI et Ikoyi sont tout de même quasi inexistantes. J’ai pu connaître à Chypre, la forêt d’eucalyptus au pied de chez moi, des parcs pour enfants par centaines, où vélos et patinettes sont leur quotidien. Prendre sa voiture, seule, aller où bon te semble.
Ici c’est dur, on reste finalement enfermé, à aller dans les campounds des uns et des autres. Seul endroit sécuritaire mais bétonné et l’accès est restreint : Banana Island.

Les seuls moments de réels évasions que j’ai pu connaître, sont nos échappées sur à la plage.
Traversée de la lagune en bateau, retrouver de la verdure, palmeraie,  au milieu d’un petit paradis. Paillote sur la plage, joliment aménagée, avec piscine d’eau de mer privée…barbecue entre amis, pétanque, piscine, bronzette, et pour les plus téméraires bains dans la mer.
Nous avons la chance de connaître deux personnes ayant ces paillottes, et j’avoue que ces moments sont de véritables bouffées d’oxygène.

Une autre chose m’use au quotidien, c’est le fait de se battre pour tout, de tout négocier, car sous prétexte que tu es blanc, tu as forcément beaucoup d’argent

Qu’est ce que tu apprécies le plus depuis que tu es ici ?

Une ville aussi compliquée à vivre que Lagos, oblige forcément les expatriés à se retrouver fréquemment, car finalement tes occupations principales sont aller les uns chez les autres pour partager, discuter, échanger…tu fais du sport ensemble (exemple nous jouons souvent double le WE au tennis avec un couple d’amis), tu reçois pour un bon diner, une après midi piscine…Rapidement, tu tisses des liens peut être plus forts qu’ailleurs.

Un message à faire passer pour les futurs expats lagossiens…

Même la vie à Lagos mérite d’être vécue.
Certes les médias, les "on dits" sont souvent très négatifs sur cette ville, mais la vie n’est pas si difficile que cela. Nous avons la chance de rentrer souvent en France, ravis à chaque d’y aller mais aussi à chaque fois de revenir ici, oui même à Lagos. Ici, mon conjoint rentre de temps en temps manger le midi, rentre plus tôt le soir. Nous profitons bien plus de notre vie de famille qu’avant.

Pour rien au monde, je ne voudrais retrouver ma vie parisienne. En tant qu’expatriés, nous restons bien sûr privilégiés. Nous avons un confort de vie, une chance de découvrir d’autres standards, de rencontrer des personnes d’horizons divers.
Nos enfants ont une faculté d’adaptation hors norme, pour eux Lagos n’a jamais été un souci ! Ils manient maintenant le français, l’anglais avec bien plus de facilités que moi !
On s’habitue aux contraintes de Lagos, le fait de rencontrer des gens formidables vous aide à surmonter les moments plus compliqués.

L’insécurité est réelle, en tant que blanc on représente de l’argent (même si ce n’est pas forcément le cas), mais si les règles émisés sont respectées, on vit normalement !
Lagos mérite d’être connu. Nous sommes là pour 3 ans à 4 ans, et nous ne le regrettons pas !



 Ps: Aurélie a ouvert un blog très récemment, afin de partager son quotidien avec son entourage. Pour lire ses récits, c'est par ICI!  


 Et toi, quitterais-tu ton confort pour vivre dans un pays dit dangereux?

16 commentaires:

  1. Super interview, on en apprend plus sur le quotidien dans un pays "dangereux". On se rend bien compte que la decision a ete difficile a prendre et a annoncer mais que finalement, cette petite famille d'expats a reussit a re-creer un quotidien stable et joyeux! Je n'ai personnellement pas le projet de m'expatrier la-bas mais je trouve le temoignage tres rassurant pour tous ceux qui seraient dans une situation similaire!

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    1. Oui ce genre de décision est loin d'être facile à prendre, et tant mieux si ce témoignage peut rassurer les futurs expats, car c'est vrai qu'on entend pas grand chose de très réconfortant au sujet de ce pays :(

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  2. Je pensais justement à toi y'a quelques temps, en voyant tout ce qui se passe au Nigéria en ce moment et je me demandais comment tu aurais vécu les évènements récents si tu y vivais toujours... Comme toute expatriation, c'est certain que ça doit demander un temps d'adaptation, mais je pense que ça reste quand même assez particulier au niveau de l'insécurité notamment et du fait de vivre un peu dans une "bulle", comme c'est si bien expliqué dans l'interview.

    En tant que grande fan de l'expatriation, je suis tout à fait d'accord cette phrase en particulier : "En tant qu'expatriés, nous restons bien sûr privilégiés. Nous avons un confort de vie, une chance de découvrir d'autres standards, de rencontrer des personnes d'horizons divers".

    Et ça, ça n'a pas de prix :P

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    1. Merci pour ton commentaire :). Je pense que justement, comme les expats vivent dans une sorte de bulle à Lagos, ils ne ressentent pas forcément les impacts des drames qui se passent ailleurs dans le pays, car le Nigéria c'est avant tout un pays très vaste. Quand j'y étais, et que les médias parlaient de Boko Haram en 2013, cela ne changeait rien à notre quotidien la bas à Lagos, par contre en 2014 la sécurité a été une fois de plus renforcée à cause de soi disantes menaces... finalement nous n'avons jamais vécu rien d'alarmant!

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    2. Tant mieux, c'est rassurant de savoir qu'une bonne partie du pays ne ressent pas les conséquences de tout ça. Avec tout ce qu'on voit dans les médias, ça devient vite flippant et c'est intéressant de savoir comment ça se passe vraiment de l'intérieur !

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    3. Effectivement les médias ne font ressortir que les aspects négatifs du pays, mais on en oublie malheureusement que le Nigéria ce n'est pas que Boko Haram. Comme dit Aurélie dans l'interview Lagos est une ville qui mérite d'être connue, et il y a la bas des familles qui s'y sentent vraiment bien, malgré certaines contraintes :)

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  3. Arf! je suis vraiment passionnée par ce type de témoignage tout simplement parce que je n'aurai pas le "courage" de tout quitter pour un autre pays et encore moins pour un pays "dangereux" mais qu'est ce que j'aimerai franchir le pas...Après c'est un tout qui fait qu'on ne le fera pas mais j'aime lire les témoignages, et il est appréciable de voir que ces pays que les médias nous montrent uniquement comme des coupe-gorges ne sont pas seulement cela...

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    1. Merci beaucoup pour ton commentaire. C'est vrai que tout quitter pour partir n'est pas un choix simple à prendre, surtout si on a d'autres plans en tête et encore plus si c'est pour un pays que tout le monde qualifie de "dangereux", enfin quand je dis tout le monde c'est surtout les médias... Pour ma part, je ne pensais pas non plus que j'accepterais ce genre de proposition, et pourtant il a fallu faire un choix rapidement, tout comme la personne interviewee nous avons peser le pour et le contre, et puis on a foncé, un peu les yeux fermés même. J'avais 23 ans à l'époque, je pense que je ne réalisais pas le bouleversement qui m'attendait, mais c'est pas plus mal sinon je crois que je n'aurai pas franchi le pas!

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    2. oui, la jeunesse a peut etre contribué à ton choix! Nous on ne cesse de déménager mais...juste à travers la france! Et déjà les gens sont en admiration parce qu'on est "capables" de tout quitter en 15 jours pour partir vivre dans une autre région (4 fois qu'on le fait quand même) mais alors.... RIEN A VOIR avec le fait de partir à l'étranger! Mon homme a eu une proposition pour miami...c'est flatteur, ça fait plaisir d'y penser mais on ne le ferait pas! surtout que c'est pas comme si il avait THE situation, hein, il est chef dans une chaine de boulangerie, pas patron d'entreprise :p je suis vraiment ravie d'avoir trouvé ton blog et toi en tous cas ;-)

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  4. Très joli témoignage Fafa !

    Nos petites aventures européennes, à côté de ça, ne sont que de petites miettes sans importance ...

    Bisous

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    1. Merci beaucoup Margarida :). A chaque pays ses difficultés, ceci dit il doit bien y avoir des gens pour qui une expatriation en Afrique se vit mieux qu'en Europe ;)

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  5. C'est superbe ! Je viens de découvrir 2 blogs d'un coup et en plus je suis aussi allée à Lagos pour le boulot et ça me rappelle plein de souvenirs...... :)

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    1. Merci Solène! J'imagine que ça doit te replonger dans les souvenirs, surtout que c'est un mode de vie un peu spécial ;).

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    2. Merci pour ce témoignage, ça donne vraiment une idée plus précise sur lz vie là bas mais qu'en est il du malaria, on risque de partir dans pas longtemps et c'est ce qui m'inquiète le plus merci

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  6. Sympa ce petit retour sur expatriation !

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  7. Ha j'adore ton article merci Fafa ! J'aime aussi voir qu'une expatriation se passe bien même si elle ne parait pas toujours gagnante au départ ! C'est ça, l'expatriation, surtout, c'est savoir s'adapter à tout, et trouver le bonheur dans toute situation, peu importe le pays et ses difficultés !

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