mercredi 19 février 2014

Quand Fafa teste le public market à Lagos...

Comme toute passionnée de voyage qui se respecte, quand je vais dans un pays, il est primordial pour moi de voir de mes propres yeux, ce qui fait la particularité d'une culture.
Et quand on met les pieds sur le continent africain, une des choses à laquelle on pense, ce sont ses marchés publics.
Un marché, quelque soit le pays, nous en dit long sur sa culture:  plats et aliments traditionnels, comportements sociaux etc..

Mais il y a un petit bémol, au Nigeria, l'expat n'est pas autorisé à s'aventurer au milieu de la foule dans des zones non sécurisées: risques d'agression? kidnapping? pickpocket? Que sais-je.
Contrairement à la plupart des pays d'Afrique, ici les femmes expats ne font pas elles- mêmes leur marché.  C'est le maid, le boy, le driver, le cook, la nanny qui se chargent de ramener tomates, carottes, salades, papaye, ananas et bananes au sein de nos foyers d'oyibos.

Quand j'ai compris ça, la frustration a gagné mon esprit... vivre dans un pays d'Afrique sans rien connaitre de la vie de son peuple...comme dirait une grande philosophe de ce siècle "non mais allô quoi!! Tu vis en Afrique et t'as jamais croisé un africain?"

Quelques semaines après notre installation à Lagos, je décide de tenter le diable. C'est plus fort que moi, je suis curieuse, j'ai besoin de voir et besoin de savoir. J'en discute avec ma moitié qui me dit: "Si tu sors de la ville, il faut y aller en groupe, et avec une escorte policière...". 




Moi qui pensais fermement que la sécurité passait tout d'abord par la discrétion...

 Sérieusement se rendre au public market en "mini-bus touristique", avec des flics armés, bonjour la discretion, tout ça pour aller acheter un demi kilos de tomates.

Lagos est une ville où les inégalités se creusent un peu plus chaque jour. Le pétrole crée du pognon en masse, fait des nouveaux riches, boost de nombreux secteurs, qui eux même font de nouveaux riches. Néanmoins, à côté de ça,  la majorité des nigerians vivent avec moins de 2 dollars par jour... Alors quand l'étrangère se rend dans un endroit populaire,  accompagnée d'une escorte policière, là où les gens se decarcassent pour gagner quelques nairas, c'est à mon goût ce qui pourrait justement susciter de la haine envers les expats.

Source photo http://worldtravelguide.net




Petite parenthèse: Il est bien dommage que les dirigeants de l'état de Lagos ne prennent pas l'initiative de renforcer la sécurité de certains marchés,  autres que le marché d'art de Lekki (un des rares endroits hors de la ville où les expats n'ont pas besoin d'escorte). Certes les expats apprécient l'art africain, mais ils apprécient également les fruits et légumes bios non? 

Bref... nana bornée que je suis, je fini tout de même par me convaincre qu'aller au marché ne serait pas une si mauvaise idée.
Je ne suis pas tout à fait oyibo, je suis originaire de Madagascar, alors le marché, ses odeurs et ses ordures qui tapissent le sol, je connais déjà. Ma voisine, une nigériane ne peut s'empêcher de me charrier" bien sur que  tu es oyibo, regardes tu n'es pas noire comme nous, et tes cheveux, ce sont des cheveux d'oyibos!"
Malgré les avertissements, je saute le pas. Je demande à Hilaire, notre ancien maid béninois de venir m'accompagner.
Il se met à rire, " Mais pourquoi aller au marché public madame c'est très sale?".


(soupir)

-" Et c'est si dangereux que ça?
- Oui, ce pays est dangereux madame, il y a des bandits partout.
- C'est pas comme ça chez toi à Cotonou? 
-Non... à Cotonou les gens n'ont pas peur, ici on a peur."



Nous sommes maintenant installés dans la voiture, on traverse la ville... on quitte la ville...je me demande si je ne suis pas en train de jouer avec le feu.
 30 minutes plus tard, le chauffeur ralentit et prend un chemin de terre. Dans cette zone, il n'y a  pas de police, pas de militaires.
Sur ma droite, j'aperçois une foule qui s'entasse, se bouscule. C'est poussiéreux, bruyant, oppressant. Un type sorti de nulle part, indique au chauffeur où se garer. Je sors de la voiture, suivit d'Hilaire. Il fait chaud...trop chaud...
Je me laisse engloutir par cette masse humaine, voilà j'y suis.

Les gens me dévisagent comme si j'étais une sorte d'alien, alors j'esquisse un sourire dès que je croise le regard d'un vendeur, comme pour dire " je suis venue en paix,  vous pouvez ranger vos missiles!!".
 Ils sont visiblement très surpris de voir une oyibo parmi eux, là, entre les étalages de fruits et légumes, et le ruisseau de sang, provenant des boucheries improvisées en plein air.
Je m'agrippe à mon sac, achetée une semaine plus tôt par un vendeur de tissus nigérian. C'est un accessoire sans valeur, mais dedans il y a mon téléphone, mon unique lien avec mon mari si il devait m'arriver quelque chose.

"Hey Oyibo, come oyibo!" Cela va faire maintenant une dizaine de fois que j'entends cette phrase, mais je continue mon petit circuit en faisant mine de ne rien entendre. Parfois on m'attrape le bras, on me touche l'épaule... je n'aime pas trop ça, mais ça fait partie du jeu. "Hey oyibo how you dey na?" ( Hey l'étrangère, comment vas tu?) , " Come see these nice fruits Ma'" ( Venez voir ces delicieux fruits m'dame).

 Hilaire en profite pour mettre un nom sur certains produits que je ne connais pas. Je suis comme une enfant à l'école en train d'écouter sagement son professeur.
 Une fois la curiosité passé, les marchands semblent contents d'avoir une tout autre clientèle, même si cela les pousse à annoncer des prix totalement scandaleux.  Heureusement Hilaire est là, et n'hésite pas à hausser le ton  pour recadrer les esprits peu scrupuleux.

Tout se passe à merveille,  jusqu'au moment où on s'arrête devant l'échoppe d'une femme qui à l'air drôlement agressive. Elle parait énervée, voir même très agacée de nous voir là.  Deux cicatrices descendent le long de ses joues, donnant l'impression qu'on y avait  creusé des larmes. Ici ces scarifications, les Tribal marks,  expriment une appartenance à un groupe ethnique particulier. Autre détail, et qui n'est pas des moindres, elle est enceinte. La taille de son ventre me dit que c'est pour TRES bientôt...

Nigerian tribal marks. source photo bellybature.wordpress.com





Hilaire s'approche de son stand, sur lequel se trouve une bien maigre marchandise... Il tripote maladroitement quelques légumes pour attester de leur bonne qualité. Elle le fusille du regard. Ces produits ne m'intéressant guère, je lui suggère de continuer notre route, "il est bientôt midi faut pas trainer". 
Voyant qu'on s'apprête à partir, la femme laisse exploser une colère monstre " You touched my vegetables, and you dont buy them, if you touch you have to buy, if you dont want to buy then don't even come close to these vegetables...". Silence. Quelques curieux s'attroupent autour de nous, ils s'amusent de la situation.

Je suis très gênée, je ne comprends pas ce qu'on a fait de mal: toucher les produits sans pour autant les acheter, c'est exactement ce qui se passe sur les stands voisins.
Les gens nous regardent hilares, se demandant comment nous allons réagir face à ce soudain pétage de plomb hormonal.

Je ne réponds rien, et dit à mon maid que nous devrions quitter les lieux, avant que notre simple présence finisse par lui provoquer son accouchement, là, au milieu de cette poussière.
Hilaire calme le jeu en s'excusant à 3 reprises.  Il s'en veut car c'est lui qui a malencontreusement toucher les produits de la vendeuse " We' ll come back to buy this, but my Madam wants  to visit the market first...' qu'il lui dit. Elle ne bronche pas. Je l'imagine déjà en train  de le lyncher avec une de ses piles de tomates!
Nous poursuivons alors notre petit tour, certains marchants ayant vu la scène s'excusent du comportement de la femme " We're sorry for you Ma'!".
En réfléchissant bien, je me dis qu'à la place de cette dame, si j'étais enceinte jusqu'au cou, sans le sou,   à devoir vendre 3 légumes qui se battent en duel, dans un marché où la chaleur  et la puanteur sont insupportables,  j'aurai peut-etre aussi péter mon boulard. C'est hormonalement compréhensible.


Nous repassons un peu plus tard devant sa précieuse marchandise. Elle a la gentillesse de ne pas être trop dure quant à la négociation des prix. Je lui tends un billet de 500 Nairas ( environ 2,5 euros).
Elle me regarde puis me sourit. Ce sourire ne quittera plus son visage jusqu'à notre départ.  Elle me demande si je reviendrai au public market, je lui reponds que peut-être... elle me demande mon nom , ce que je fais dans la vie et d'où je viens. "You should come back to teach french to my children" dit-elle en riant.
  Ce n'est plus une vendeuse qui se tient là devant moi, mais une femme, une mère courageuse qui n'a que ces modestes petits tas de legumes pour subvenir à ses besoins et ceux de ses enfants.

500 Nairas et un sourire...elle aura eu ses 2 dollars par jour...Soudain, en posant à nouveau mes yeux sur ses cicatrices en forme de larmes,  je sens monter en moi une certaine tristesse, et de l'impuissance. On s'éloigne de son stand, elle ne me quitte pas du regard, elle me salue une dernière fois.

De retour à la maison je m'affale sur le sofa,  fatiguée d'avoir piétiner pendant près d'une heure dans cette chaleur étouffante, et troublée par cette drôle de rencontre. Mon homme rentre pour déjeuner
"- Alors ce marché? Tout s'est bien passé?
 -Oui..oui...sauf qu'une femme enceinte a faillit nous sauter dessus, mais ça va.
 - Ah bon, qu'est ce qu'elle voulait?
 - De l'argent...comme tout le monde." 

Mon cerveau avait photographié son visage, ses larmes, son sourire. Si se balader avec un appareil photo à Lagos ne représenterai pas de risque, j'aurai sans doute eu ce jour là, un des plus beaux clichés de notre expatriation au Nigeria.

1 commentaire:

  1. racontée. Dès le départ, j'ai compris de quoi il s'agissait car ayant vécu en Afrique, on a malheureusement l'habitude du scénario. Nous avons d'ailleurs perdu un employé de maison, diagnostiqué trop tardivement. C'est moi d'ailleurs qui avait attiré l'attention des parents sur sa toux bruyante qui ne guérissait pas depuis trop longtemps mais ils avaient banalisé la chose jusqu'à ce qu'il soit de plus en plus malade. Il faut dire aussi que certains disent "oui" quand on leur demande d'aller à l'hôpital mais ne le font pas ou préfèrent se traiter chez les soignants traditionnels sans savoir de quoi ils souffrent réellement. C'est d'autant plus dommage qu'en Afrique, il y a des centres de dépistage gratuit.
    Le cas d'Alice me touche d'autant plus qu'en étant rentrée au Ghana, il est clair qu'elle ne va pas se soigner puisqu'elle n'a plus de revenus, et elle est peut-être déjà morte. Et je ne peux pas m'empêcher de me demander si dans un cas similaire, je ne l'aurais pas gardée en veillant à ce qu'elle se soigne car en la renvoyant chez elle, on la renvoie à la mort. En même temps, j'aurais eu peur qu'elle chope une maladie opportuniste qui soit transmissible au bébé car le sida ok, ça se transmet par sang et machin, mais si elle a une tuberculose ou un zona, qui sont fréquents chez les porteurs du virus en Afrique, c'est contagieux.
    Enfin, c'est une situation qui met très mal a l'aise. En revanche je suis contre le dépistage systématique des employés avant embauche parce que c'est discriminatoire effectivement. Un employé qui est porteur mais pas malade comme Alice peut parfaitement travailler sans

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